Aldamir

La Borgne sur la ligne de départ

Photo de ma Triumph Street Triple S 660 A2 35Kw (47.5ch) de 2020 en contre plongée arrière avec vision sur le circuit d'Issoire (CEERTA) depuis le flanc d'un pneu Pirelli Diablo Rosso III.

1000 mots, 3 heures de roulage. Brèves mais précises, ces lignes décrivent ma première expérience de pilotage sur circuit dans un format expérimentalement plus court.

Photo de ma Triumph Street Triple S 660 A2 35Kw (47.5ch) de 2020 en contre plongée arrière avec vision sur le circuit d'Issoire (CEERTA) depuis le flanc d'un pneu Pirelli Diablo Rosso III.

Tout commença lors de la réception d’un message simple, court et concis de la part d’un pote, une invitation que je me surpris moi-même d’accepter. Un évènement Facebook créé par le CEERTA, annonçait les premiers opens moto de l’année sur le circuit d’Issoire. Après une première session apparemment venteuse, cette revanche s’imposait deux jours plus tard, lors d’une rare brèche ensoleillée dans ces semaines pluvieuses d’un hiver qu’on n’attendait pas depuis quelques années déjà. Sans même compter la défensive liberticide de Jean Casse-tête, Roi de France, face à la crise sanitaire, j’aurais été fou de passer à côté d’une telle opportunité d’enfin pouvoir me défouler, rattrapé sans trop attendre par remords et regrets d’un avenir incertain.

Davantage voyageur, presque trailiste dans ma philosophie motocycliste (le trail en moins), privilégiant la multiplication des bornes parcourues au chronométrage de mes trajets, qu’est-ce que j’allais foutre sur piste ? D’un tempérament pourtant réfléchi à l’ordinaire, je lâchais prise et réservais ma place avant même d’y songer plus que ça. Vitesse, puissance et efficacité ne demeurent-elles pas finalement des notions follement stigmatisées dans l’inconscient collectif de beaucoup d’entre ceux qui te préviennent et t’avisent avant même d’avoir posé leurs couilles sur un réservoir ? « Trop vite », « trop gros », « trop puissant », toujours trop pour la voie publique, tu connais le disque. Sauf que cette fois-ci, la partie se jouerait sur terrain privé. Une journée piste, l’occasion rêvée de tourner dans l’excès sans craindre le hibou des bas-côtés et le pâle muret de l’habitant. Poignée dans l’angle jusqu’au moins quatre-vingt-DEUX km/h, sah quel plaisir !

14h, Issoire. Yohan dételle sa Street Triple RS tandis que je remplis le formulaire d’inscription à l’arrache dans les bureaux du circuit. Je me faufile entre les Megane RS et autres Alpine A110 vers l’arrière boutique afin d’enfiler sans trop d’encombres ma première combinaison, mon premier cuir. Je ressors des locaux sans gilet malgré trois passages devant un bac rayonnant par la réflexion lumineuse des bandes grises éparpillées dans la fluorescence du jaune qui l’envahissait. Oupsi. Bon, après tout ils découvriraient mon statut de novice avant même de s’être crevé les yeux sur mon gilet jaune. Cheh !

En vérité on y était seulement pour 14h30, le temps de se préparer il était déjà 14h45. La faute à une grosse chiasse intempestive du compagnon Yohan. Selon la légende, il aurait chié plus de 10 fois ce jour-là, défonçant nonchalamment les chiottes du circuit à plusieurs reprises. Ceux qui nous rejoignirent plus tard sauront en témoigner.

« Prend deux tours pour découvrir la piste, rentre, fume une clope et lance-toi ». Un premier tour s’enchaîne sans même chercher à déhancher tandis que le frottement de ma tétine de cale-pied me rappelle à l’ordre : « Dévisse moi cette tumeur, tu vas te foutre en l’air ». Ma propre flemme de les dévisser comme principale justification de leur perdurante présence, d’autres m’encourageaient à les poncer comme trophées.

Embrayant sur de nouveaux tours, le regard projeté en sortie de virage, mon assurance grandissait devant les conditions météorologiques et routières on ne peut plus parfaites du circuit ce jour-là. Ce benêt droit et inerte sur sa bécane bridée trainait comme seuls bagages les théories assimilées devant highside et autres arsouilles vidéographiques. Autant dire que je me voyais un peu dans les premières minutes de l’émission 1 Tare 1 Slider devant mes premières trajectoires hasardeuses, tentatives de choper la corde des virages depuis l’extérieur en me perdant entre freinages et rétrogradages, la moto tremblante sous une mauvaise gestion de la force centrifuge.

Bon, je suis peut-être un peu trop humble. Il ne m’aura pas fallut tant de temps avant de mettre la tête dans le rétro, de jeter mon cul dans les courbes et de faire pendouiller ce genoux qui finit malgré lui par frotter de plus en plus fréquemment l’asphalte. Navré pour les sliders. À force d’apprendre le tracé, chaque tour passait plus vite que son précédent. Loin de rivaliser quiconque parmi les sublimes et monstrueux S1000RR, Panigale et autres R6 par mes pauvres pointes plafonnant à 160km/h en ligne droite, tête dans le guidon, et ma maîtrise douteuse de La Borgne aux premiers abords, j’ai néanmoins pu exaucer l’essentiel : passer une bonne journée et redécouvrir ma machine dans ses retranchements au prix de quatre jours de courbatures aux cuisses et aux fesses, sacrés déhanchés vous en conviendrez.

Au-delà d’une expérience formatrice en pilotage et davantage sur le comportement de ma propre machine, c’est sur moi-même que j’ai appris, sur ma vision jadis plus sage de cette passion motocyclique. Par-delà un moyen de locomotion efficace, sensationnel et une manière comme nulle autre de vivre ses voyages, je développais un goût de la vitesse et du challenge. La célérité, au paroxysme de l’adrénaline qu’elle invoque, dans sa signification la plus émotive, au plus tu l’atteins, au plus tu cherches à la repousser. Abandonnant quelques bouloches de pneus et la peur de prendre de l’angle sur piste, il va sans dire que tu roules forcément plus vite au quotidien.

Affectés par l’appât de cette célérité ou, au contraire, réfractaires pour des raisons logiques de sécurité, les sessions pistes ne se réservent pas qu’au défouloir de quelques pilotes amateurs. Sans chrono, ni placement, un open peut tout autant prendre la forme d’une première expérience encadrée de découvrir l’un de ces plaisirs dont on ne distingue les motivations qu’après les avoir vécu… et, le cas échéant, de cracher sur un sport tout en militant pour la fermeture des 3.565 kilomètres bouclés de nuisances sonores du circuit d’Albi.

Motivé par un désir de chronométrer un premier tour comme objectif personnel et sans prétention de temps à battre avant de perfectionner mes trajectoires et mon pilotage dans sa globalité, ma participation aux opens suivants se voyait seulement limitée par mon retour au taf. Après un bout de chômage libérant mon temps dans les sinistres conditions de ces derniers mois, la reprise du taf au retour des beaux jours m’inflige forcément une certaine frustration. Vivement les sessions du dimanche !

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