Aldamir

Une nouvelle année pour La Borgne

Street Triple S 660 A2 au pied du Col de la Croix Morand.

Quelques légères rides en rayures de Vulcanet, les écopes arrières poncées par l’attelage de mon sac Enduristan, si coupable il fallait trouver, j’aurais plutôt tendance à plonger mon regard dans le reflet des quelques 6.000 kilomètres affichés sur le compteur. Sans bien même me concentrer et cédant parole à ma mauvaise foi, j’arriverais à trouver mille prétextes justifiant l’avantage du temps sur mon parcours, et j’y compte bien !

Triumph Street Triple S A2 660cc 47.5 hp 35kw sale de face avant

Les trois vérités, trèfle de mauvaise foi

Sache d’abord que j’ai adopté La Borgne à la veille du dernier week-end précédant le premier confinement, un banal soir en rentrant du taf, mais tu le sais certainement déjà si tu as lu son introduction. N’étant pas de ceux qui s’informent directement des actualités de ce monde, quoi que davantage après l’expérience de ce bourbier (merci Hugo Decrypte), la nouvelle de notre entrée en guerre ne me parvenait que ce fameux lundi, rejoignant fièrement mon bureau, intégralement équipé : « Récupère ton ordinateur, on passe tous en télétravail« . Non sans surprise, la prochaine chevauchée escomptée depuis au moins cinq bonnes minutes s’annonçait imminente. La moto à peine tiède, je profitais de ce retour à la maison pour prendre un dernier détour avant de m’engouffrer dans ces deux longs mois de confinement, introduction de cette douzaine de mois que nous continuons d’agrémenter, soumis aux mesures sanitaires liberticides paraissant plus ou moins aléatoirement calculées.

Madame, quant à elle, n’arrangeait rien par son faible attrait pour la pratique de la moto, saisissant la moindre opportunité de privilégier le siège passager de mon ancienne Nissan Micra à ma selle arrière et comment lui donner tort face à cette planche vaguement camouflée ?

Enfin, puisque « jamais deux sans trois », le « malheur » d’aujourd’hui travailler à 500m de chez moi ne joue pas non plus en ma faveur. Et pour cause ! A ce train-là, j’avance honteusement vers une révision annuelle, avec 4.000 kilomètres de retard avant celle des 10.000 kilomètres, moi qui fièrement annonçait « ça passe vite 10.000 bornes, comment on peut en arriver à faire réviser sa moto tous les ans ? ». Quelle indignité…

Street Triple S 660 A2 au pied du Col de la Croix Morand.

C’est pas si maaaaal…

Sans vouloir spécialement honorer David Goodenough et compte tenu des circonstances, tant sur le plan national (et même planétaire) que sur le plan individuel, bah finalement 6.000 kilomètres ça fait pas si mal. Les occasions pour moi de rouler n’abondaient pas tant qu’escomptées et quand bien même se présentait l’opportunité du parfait créneau, le karma se plaisait à me barrer la route des obstacles qu’il m’invoquait. Je sens encore ces trombes d’eaux glaçantes me percer de toutes parts, les genoux scotchés au réservoir, tentant de garder la tête haute et fière de ma bécane hors de la tasse, elle qui planait dangereusement sur l’épaisse accumulation de pluie du périphérique stéphanois au retour du taf. J’imagine encore ma première virée à moto, sous cette brume épaisse qui réduisait l’univers tout entier à un néant gris, aveuglant quiconque visait à plus de deux mètres autour de lui entre Roche-Taillée et le Bessat. Je songe à tous ces autres épisodes qui m’auront poussé à piloter contre mon gré, à m’accrocher et à espérer meilleure chance au fil des lieux. Piégé par les intempéries comme par la fatigue ou le temps qui s’écoule sans cesse, au mieux j’affrontais les éléments, décidé à rejoindre la fin de ma boucle, au pire je ralliais une destination diamétralement erronée à mon logement, rebroussant honteusement mon chemin. Ceux qui connaissent l’anecdote voient certainement où je veux en venir et comme je préfère n’exclure personne, laisse moi te conter une nouvelle opportunité de te foutre de ma gueule.

De l’Ouest à l’Est il n’y a qu’un pas

J’adoptais ma bécane le vendredi 13 mars 2020, réfutant toute superstition sur ce qui s’apprêtait à suivre. Ce jour-là, deux potes me rejoignirent à Saint-Étienne histoire de marquer le coup. La soirée se déroulait convenablement au Hop Square avant de se poursuivre sur quelques dégustations de bouteilles de mousseux bien bouchonnées, merci à mamie pour l’héritage. La nuit s’en suivit de toute évidence jusqu’au lendemain, jour de notre départ pour les alentours de Clermont-Ferrand, d’où proviennent ces chers camarades, via les belles portions sinueuses des routes d’Ambert. D’un bon timing, je recevais mon support quadlock juste à temps. Merci à Motoblouz pour sa ponctualité qui, tu le découvrira bientôt, fit scintiller l’étoile guide du chemin de mon retour au crépuscule d’un week-end qui, jusqu’alors, s’annonçait merveilleusement…

Mais venons-en aux faits. J’arpentais mes premières routes sinueuses, à la ramasse derrière les autres, rejoignant d’autres camarades en prévision d’une promenade plus locale le lendemain. Le groupe ainsi étoffé, épongeant les liqueurs de la veille dans l’intimité des foies de ses membres, s’engageait pour une dernière balade du dimanche entre Lac d’Aydat, Col de la Croix-Saint-Robert et Col de la Croix-Morand. La fatigue s’accumulait ainsi entre gueule de bois, mal de cul et brûlures de genoux causées par le frottement de protections trop rapprochées. L’escapade touchant à sa fin et malgré l’adorable proposition de mes hôtes de m’héberger une seconde nuit, je décidais de retrouver mon lit, requinqué par un bon café. L’occasion venait pour moi de tester mon smartphone comme GPS à moto, la fameuse étoile dans les ténèbres de mon seum (ça arrive, ça arrive !). Sans perdre de temps face au coucher du soleil, j’entrais mon adresse sur Maps, me laissant guider jusqu’au bercail dans un paisible sentiment de tranquillité, baigné dans l’atmosphère d’un ciel rougeoyant.

Les kilomètres s’enchaînent depuis mon dernier départ, les panneaux aussi, tant et si bien que plus j’avance et plus j’ai l’impression de m’égarer. L’adresse est bien la bonne, la distance et la durée du trajet plausibles, l’autopilote au guidon n’en bitte pas une seule tandis qu’arrive LE moment fatidique. Celui où je réalise, les roues dans la Corrèze, à quelques dizaines de kilomètres de Tulle que j’avais atteint le paroxysme de mon imbécilité, le summum de ma connerie, l’olympe de ma naïveté. Négligeant par la confiance que je vouais à mon adresse atypique, je partais bien en direction de la Rue des Armuriers, à deux heures des Martres-de-Veyre, seulement je me dirigeais vers l’Ouest, dans la direction strictement opposée.

La nuit tombée et le froid s’installant, mon premier réflexe fut d’annoncer mon retard à ma femme. De deux heures de trajets annoncés, il m’en restait quatre. Six heures d’une traite, après un long week-end, alors que ta monture rencontrait le soleil pour la première fois seulement deux jours plus tôt, pas vraiment comme ça qu’on imagine la vie. Ce profond dégoût de moi-même dissipé, je remontais sur selle réduit à contourner les voies rapides dans le respect du rodage préconisé, les doigts crispés à travers températures nocturnes et vents glacés pénétrant le vide d’une doublure absentée par un optimisme prématuré. La frustration grandissante des limitations indiquées sur le graphique de mon réservoir, je saisi l’opportunité d’un nouveau palier de rodage franchi pour ouvrir plus grand les gaz vers l’itinéraire raccourci d’une triple voie. Plein phares, tête dans le guidon, l’heure était venue pour moi de subir le sens caché derrière la définition de naked bike. Un bon souvenir comme nombre d’autres en somme, la fin du rodage d’un simple week-end en prime.

Bon, je fais ce que je peux avec ce que j’ai, mais voilà une représentation illustrée de l’itinéraire principal dont tu saura deviner l’ordre des étapes. Allez moque toi un dernier coup, qu’on puisse passer à la suite.

Carte de France itinéraire Saint-Etienne, Clermont, Tulles et retour

Matérialisme amoureux

Rares passaient les jours sans que cette Triumph ne tourne à l’achèvement du confinement national qui aura suivi cette précédente anecdote. J’avais en moi ce puissant désir de rouler, cette enrageante motivation du mec qui vient d’acquérir une nouvelle brêle, le piment d’une soulageante remise en liberté comme assaisonnement. A l’assaut des verdoyants alentours de ma triste ville comme vers le trajet quotidien jusqu’à mon bureau, la joie paradoxale d’échapper quelques jours par semaine au télétravail, ce tas de tôle égayait chacun de mes jours.

Paradoxalement contenté par le moindre motif légalement valable d’instaurer une courte trêve dans cette ère de confinement “télétravaillé”, j’incarnais comme possédé ce désir de rouler, la flambante détermination du mec qui vient d’acquérir une nouvelle bécane. D’autant plus comblé, il était à quelques lieux la route d’une merveilleuse nuance, le rayon de soleil à travers les barreaux de mon donjon stéphanois : la Jasserie du Pilat. Incapable de compter l’approximative cinquentaine d’allers et retours foulés en sa direction, ma seule certitude désignait cet endroit comme un but quotidien, un moyen de me vider la tête et d’y faire mes premières armes. Désireux d’agrandir mon terrain de jeu, ma propre curiosité ne tardait pas à étaler les frontières de mon terrain de jeu à celles du parc naturel régional du Pilat. Bordant le Gier des lointaines abysses duquel émanait le pouvoir de faire dévier mon regard de la route par l’étincelante réflexion du soleil à sa surface, j’arpentais les sinueuses routes de Doizieux, cimetières de vipères, jusqu’à l’auberge de Pélussin, escale de ma poursuite vers le somptueux village médiéval de Malleval. Sans trop m’y attarder, voici seulement quelques périples parmi nombre de mes quêtes des plus beaux lieux de la Loire dans les canicules estivales du premier déconfinement, entre châteaux emblématiques et étendues aquatiques.

Triumph Street Triple S A2 660cc dans un champ.

Un claquant daily

La décence d’abandonner la moindre once de praticité à un véritable coffre de voiture afin de ne pas dénaturer cette Triumph, j’accordais le bonheur à ma douce Laura de conserver ma bonne Nissan, protagoniste d’une histoire désormais révolue certes, mais non moins une histoire qui claque ! Egarons nous un peu.

Cette histoire commence au jour de l’héritage de cette bonne vieille Nissan Micra. Un glow up assuré lorsqu’on se souvient de ma première merguez, une Clio 2 (première phase) au moulin tristement référencé comme l’un des pires échecs du constructeur, j’ai nommé le toussant 1.9Dti de 80 bourrins covidés. Non vraiment, cette chouette caisse avait tout pour plaire en tant que daily : GPS intégré, autoradio Bluetooth, une petite gueule de citadine sympathique, quoi qu’un peu girly, tractée par un moteur “fiable” de 98 chevaux à la consommation amplement raisonnable. Malgré les 28.000 kilomètres affichés lors de sa récupération, elle aura néanmoins conservé quelques séquelles physiques du manque de tendresse de ma tante et de la vie citadine qu’elle lui offrit dans cette ville de carnage. Un détail, bien sûr, surtout le volant aux mains de celui qui la considéra comme baptisée, soulagé à l’idée de partir en offroad avant de regretter la faible garde au sol de son véhicule lorsqu’il en plia le carter d’huile sur une pierre lors d’un franchissement. Si tu venais toujours à en douter, arrête-toi là-dessus : je suis un gros con. Des mois sans vraiment m’y intéresser (ça roulait après tout), je développais l’habitude de l’agonisant bruit moteur et des quelques voyants accumulés sur le tableau de bord. Voyant d’huile, voyant moteur, rien de grave en somme, ça roule ! La mise en sécurité du moteur s’était activée et par l’allonge sous-estimée de cette petite caisse, nul besoin ne m’effleurait de l’emmener faire un tour au garage avant le jour où je me décidais à la revendre. « Je vais être franc avec vous, à votre place je la garderais tranquillement dans la rue le temps de commander un nouveau carter et de remplacer l’actuel. Je vous désactive les voyants mais à tout moment elle finit bonne pour la casse ! ». Quoi ? Faire des frais sur une voiture que je compte revendre incessamment sous peu ? La vidange suffira, chef ! Tu l’auras deviné, s’il y a éventuellement un autre aspect de moi-même qui puisse dominer ma connerie, c’est bien mon avarice. Quelques semaines après sa mise en vente et des dizaines de milliers de kilomètres après avoir bouffé cette pierre sur les rives de Billy, un potentiel acheteur débarque pour l’essayer malgré le bruit malade qu’elle s’était mise à émettre dès lors. La sécurité moteur désactivée, les tours s’accumulent dans l’essai, les kilomètres aussi, pas tant qu’escomptés malheureusement puisque le tableau de bord de la Micra ne tardait pas à scintiller de milles feux dans la symphonie raisonnante des bielles coulées contre les façades frôlées : “clac, clac, clac”. J’aurai finalement réussi à la refourguer pour quelques sous à un sympathique garagiste incertain de la réparation du moteur.

La moto comme monture exclusive, comment j’ai pu en rester à 6.000 bornes ? Va savoir, télétravail life.

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